TUNIS, Tunisie – 29 mai 2025 – Face à l’impératif de croissance hors des frontières nationales, l’organisme d’accompagnement Qawafel a orchestré une nouvelle session de son « Qawafel Gathering ». Cet événement stratégique, visant à doter les entreprises tunisiennes des outils nécessaires à leur expansion mondiale, a mis un accent particulier sur les dynamiques et les opportunités des marchés africains. En prélude aux débats, et fidèle à la tradition de ces rencontres, M. Salah Boulila, Managing Director de Mazam, a planté le décor en présentant une infographie détaillée. Consacrée cette fois aux modes d’internationalisation – de l’export classique à l’e-export, en passant par l’implantation directe et la franchise – cette analyse visuelle, accessible sur le site de Qawafel, a également mis en lumière les avantages, prérequis et risques inhérents à chaque option stratégique, offrant ainsi un cadre référentiel aux discussions qui ont suivi.
Un panel d’experts reconnus a été convié par Qawafel pour éclairer les débats : M. Iheb Beji, Co-fondateur et CEO de Medianet, M. Riadh Azaiez, Président de la Chambre Syndicale Nationale des Conseillers à l’Internationalisation (UTICA), Mme Rim Ayari, Fondatrice de WeFranchiz , et M. Baligh Hamdi, CEO et Fondateur de B2M Group. Les réflexions issues de ce panel ont été enrichies par un témoignage de Mme Radhia Kamoun, Fondatrice de Gourmandise, recueilli lors d’un entretien dédié.
Afrique : Entre Mythes Tenaces et Réalités Complexes
La discussion s’est d’emblée attaquée aux idées préconçues. L’affirmation selon laquelle l’implantation d’une filiale en Afrique serait systématiquement plus onéreuse que l’exportation indirecte a été nuancée. Si l’investissement initial peut s’avérer plus important, une implantation directe est souvent synonyme de meilleure rentabilité et s’inscrit dans une vision stratégique à long terme. Pour le secteur de l’IT, « ce n’est pas forcément plus cher », a précisé M. Baligh Hamdi, concédant que « pour d’autres secteurs, l’implémentation peut être plus lourde. »
Quant à la sécurité des modes d’entrée, la joint-venture n’est pas apparue comme la panacée. « La plus sûre est d’être seul », a avancé M. Hamdi, tout en reconnaissant que « c’est plus facile de commencer avec des partenaires locaux, puisque ça aide dans la gouvernance. » Une analyse partagée par M. Riadh Azaiez, pour qui « le plus sûr est de travailler soi-même pour soi-même », insistant sur l’importance d’une présence terrain pour appréhender les écarts culturels et sélectionner judicieusement ses partenaires.
Enfin, l’exportation, bien que perçue comme « l’acheminement le plus naturel » pour une première approche internationale, n’est pas exempte de risques ni de complexités. La principale difficulté, selon M. Azaiez, réside dans « d’organiser et comprendre le pays et son mode de travail. » Pour certains secteurs, une implantation locale devient incontournable. Mme Rim Ayari a d’ailleurs souligné que même dans une logique de franchise, « il faut commencer par exporter pour tester le marché, la demande, la logistique », avant d’envisager une prise de relais locale.
Les Fondamentaux d’une Stratégie Africaine Réussie
Plusieurs facteurs clés ont été identifiés comme déterminants pour les entreprises envisageant le grand saut africain. La diversité du continent a été rappelée par M. Iheb Beji : « L’Afrique se répartit sur 3-4 « continents » en termes de spécificités, chaque partie a sa particularité. » Pour les services et l’ingénierie, l’expérience de Medianet montre que « le plus important est de commencer par des partenaires locaux pour travailler à moyen ou long terme », face à des projets souvent complexes et nécessitant une crédibilité solide, notamment auprès des bailleurs de fonds. M. Riadh Azaiez a, quant à lui, souligné l’importance de la préparation interne et de l’adéquation de l’offre au marché cible.
Les « 3 P » – Passion, Patience et Pertinence – ont été érigés en boussole par M. Iheb Beji. Une véritable « passion pour le marché et le continent » est indispensable pour ne pas succomber rapidement à la fatigue d’un processus qui peut s’étaler sur « un cycle de 1 à 3 ans » avant de porter ses fruits. La patience est donc de mise. Enfin, la pertinence de l’offre doit être validée : « il faut s’assurer que son offre réponde réellement aux besoins du marché local. » Une réflexion stratégique interne approfondie est un préalable avant de se lancer. Pour les startups, une réussite locale n’est pas toujours un prérequis absolu, surtout si des bailleurs de fonds soutiennent la démarche exportatrice.
La nécessité de s’internationaliser, compte tenu de l’étroitesse du marché tunisien, a été réaffirmée par M. Baligh Hamdi, dont l’entreprise B2M Group a d’abord exporté avant de s’implanter directement sur 18 marchés africains, souvent avec l’appui de grands donneurs d’ordre comme Accenture.
Des Premiers Pas à la Pérennisation : Itinéraires et Recommandations
L’entrée sur les marchés africains et la construction d’une présence durable exigent persévérance et stratégie. L’expérience de Medianet, co-fondatrice du groupement Get’IT, illustre ce parcours : après de nombreux appels d’offres infructueux, la réalisation d’études de marché a permis de se faire connaître. « Les débuts sont difficiles, et après c’est encore plus difficile », a concédé M. Beji, insistant sur l’importance de « développer l’amitié avec le client pour pouvoir poursuivre les affaires. » L’union fait la force, et rejoindre des groupements d’entreprises est une stratégie jugée « intéressante ».
Le soutien institutionnel, tel que les programmes pour primo-exportateurs du CEPEX, est crucial, bien que M. Azaiez reconnaisse que « s’il n’y a pas de financement, c’est difficile. » M. Baligh Hamdi a témoigné de l’aide apportée par le CEPEX et Tasdir+ lors des phases initiales. Au-delà du soutien financier, c’est « la volonté de faire des affaires en Afrique subsaharienne » qui constitue le moteur. Les défis sont réels, des risques sanitaires à la nécessité de « se lever plus tôt » dans des marchés compétitifs comme la Côte d’Ivoire, mais « une fois qu’on y est, on se fait des partenaires, des frères. »
Le Franchisage : Un Modèle d’Expansion Analysé par le Panel
Le modèle du franchisage a fait l’objet d’une attention particulière lors de la table ronde. Mme Rim Ayari a œuvré à « casser les stéréotypes » : la franchise n’est pas réservée aux grands groupes et peut être initiée avec des budgets raisonnables, à condition d’avoir « un produit vraiment puissant » et une organisation solide. Son initiative « Smart Booster » accompagne cette transformation. L’intérêt pour ce modèle est tangible, avec des demandes de cabinets de conseil internationaux souhaitant rejoindre son réseau en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Sénégal.
Pour les entreprises tunisiennes, les prérequis à la franchisabilité incluent, selon M. Iheb Beji, « les processus et la clarification. » Mme Ayari a mis en exergue l’importance de la protection de la propriété intellectuelle – un critère scruté par les grandes enseignes – et de la sécurité, des aspects d’autant plus cruciaux que le modèle implique des déplacements et des formations sur place. La demande locale doit également être avérée. La protection de la marque est un enjeu central. « Il faut enregistrer son nom de marque, avoir un contrat très fort, et des modalités exécutables », a martelé Mme Ayari, soulignant l’importance du contrôle du marketing par la marque mère et la nécessité de formaliser le savoir-faire.
Secteurs Porteurs et Clés de la Réussite : Humilité et Vision
Quels sont les secteurs les plus prometteurs ? M. Riadh Azaiez a listé « l’agro-industrie, les bureaux d’études, le bâtiment et les travaux publics, la santé et le tourisme médical, le matériel médical, le digital, et la formation professionnelle », tout en rappelant que « la Tunisie ne manque pas d’atouts. » Cependant, une posture d’humilité est essentielle pour aborder l’Afrique subsaharienne : « Il ne faut pas dire qu’on veut exporter sur l’Afrique subsaharienne si vous ne supportez pas l’inverse. » La demande est omniprésente sur le continent, et parfois, « on gagne plus à bien importer qu’à exporter. » Le principal déficit serait une « prise de confiance dans le commerce à l’international. »
Éclairage Approfondi : L’Expérience de la Franchise par Radhia Kamoun, Fondatrice de Gourmandise
Le témoignage de Mme Radhia Kamoun, figure emblématique de l’entrepreneuriat tunisien et fondatrice de la success-story Gourmandise, a apporté un éclairage particulièrement précieux sur les aspects concrets de l’internationalisation par la franchise. Recueilli lors d’un entretien dédié, son retour d’expérience a souligné plusieurs points saillants. « Il faut aller à la recherche des opportunités », a-t-elle entamé, expliquant la démarche proactive de son entreprise : « Nous avons commencé à travailler pour essayer de lancer la marque à l’international. Il faut avoir un concept qui a fait ses preuves et duplicable et qu’on peut donner à un partenaire. »
L’implantation de Gourmandise en Libye depuis 2022 illustre cette stratégie. « Ce n’est pas rentable pour nous d’exporter uniquement nos gâteaux, c’est pour cela que nous avons stratégiquement opté pour l’internationalisation de notre brand », a-t-elle précisé, soulignant la nécessité d’une « équipe et d’une structure » dédiées. Être franchiseur, pour Mme Kamoun, implique « le transfert de savoir-faire à un partenaire et il faut que les valeurs soient partagées, donc le choix du partenaire est l’élément le plus important. Ça doit être un partenaire de longue durée pour protéger la marque. »
La protection de la marque et la qualité des produits sont assurées par « une équipe pour superviser », ce qui inclut « le choix des endroits, la formation des équipes, et des audits de manière très répétée et continue. » Cette rigueur est aussi une source d’amélioration continue : « Si on fait bien les choses, c’est que nous sommes en train d’apprendre continuellement et de nous améliorer. On ne peut pas exporter un concept si on ne le maîtrise pas. Si nous avons les moyens de contrôler nos franchisés, c’est que nous sommes capables de contrôler nos propres magasins. »
Parmi les défis inhérents à cette démarche, Mme Kamoun a cité l’exigence de documentation : « Tout doit être écrit : les recettes, les procédures de contrôle, les processus, l’ERP… C’est un grand projet. » Trouver des collaborateurs prêts à s’engager sur des marchés comme la Libye est un autre enjeu. Concernant l’adaptation, elle a conclu : « Nous n’avons pas eu de problèmes de gestion. Le souci est de savoir s’adapter au pays, malgré les liens que nous avons avec le pays. C’est une adaptation normale. »
Cette rencontre, orchestrée par Qawafel, a clairement mis en lumière que, malgré les défis inhérents, le continent africain regorge d’opportunités pour les entreprises tunisiennes qui s’y préparent avec rigueur, engagement et adaptabilité. Une compréhension fine des marchés, la construction de relations de confiance solides et une vision stratégique à long terme apparaissent comme les piliers d’une conquête africaine réussie.
Publié le 2 juin par Aya OUERTANI